Nature célébrée, voyage chamanique, exploration de la psyché, dark side, puissance du féminin, sorcellerie, poésie rendant hommage au Grand Mystère, au Grand Tout, Miyazaki est certainement l’artiste qui m’influence le plus.
Et le Voyage de Chihiro est sans doute le film que j’ai le plus regardé. Bien sûr, le fait d’avoir des enfants y contribue, mais chaque nouveau visionnage m’apprend quelque chose d’autre. Chihiro me fascine.
Ceux qui me suivent sur Instagram, se rappellent peut être que Tâm avait été invitée à faire un exposé en cours de français sur son héros/héroïne préféré.e. Rien que ce choix de prendre Chihiro m’avait épatée, mais en plus, il y avait tout son regard d’enfant qui me laissait songeuse (et fière).
une amie me disait “quand on lui pose la question de la complexité de ses films, Miyazaki répond : les enfants comprennent tout.” oui nous adultes oublions parfois la sagesse des choses.
Alors qui ne connait pas encore Chihiro?! (sans déconner)

Chihiro, petite enfant angoissée, n’a au départ rien d’une héroïne. Cette petite chose se retrouve toutefois, ou plutôt, de ce fait, propulsée dans un monde de rêves/cauchemars qu’elle va devoir explorer pour s’en échapper. Elle y devient employée dans un bain public pour les esprits. sous la tutelle de l’incroyable Baba Yaga, elle apprendre à “nettoyer” les autres ou plutôt à les aider à se nettoyer eux-mêmes.

(mon but dans la vie est de devenir baba yaga)
Les autres, sont évidemment des projections d’elle-même. Tout le bain public, les esprits, ses tâches à accomplir sont le théâtre chamanique de sa psyché en transformation. S’y déroule un rite de passage où elle va apprendre à vivre “à travers” ses peurs.
grandir.

Arrive le Sans-Visage. C’est un monstre. Il a l’air inoffensif, il n’est pas moche, il ne sent pas mauvais (comme l’esprit putride), c’est pire : sa monstruosité est de ne pas dire qui il est (il est sans visage quoi) . Il distribue de l’or à tout va. tout le monde veut ses faveurs : bah oui puisqu’il donne de la thune!!!! mais, personne ne l’aime : bah oui, il est trop weird, quelque chose cloche…

le Sans visage ne dit pas qui il est, parce qu’il n’en a aucune idée. Ce qu’il veut au fond, c’est qu’on l’aime. il pense obtenir de l’amour en donnant aux autres, ce qu’ils désirent. mais l’amour ça marche pas comme ça. Ce qu’il fait n’est pas du don, puisqu’il désire quelque chose en échange (qu’on l’aime si vous me suivez). il n’est pas animé par l’amour mais par son besoin d’amour. on l’a vu avec Gabor Mate, ça s’appelle de l'”attachement”. et…
l’attachement c’est pas de l’amour, c’est du contrôle.
Tout cela étant inconscient mais bel et bien inauthentique, le Sans Visage, au lieu de susciter l’amour, créée la situation qu’il redoute le plus : le rejet et la tétanie (toute l’activité du Bain Public est arrêtée). il se met donc en colère “nan mais piting je te donne tout l’or que tu veux et tu ne m’aimes pas?!” il devient violent et dévore tout ce qui bouge. Le Sans-Visage est parfois présenté comme le “hungry ghost”, le fantôme de l’addiction, qui dans sa souffrance non reconnue dévorent l’être de l’intérieur (Gabor Mate l’utilise d’ailleurs dans ses vidéos expliquant l’addiction).

Que va faire Chihiro? elle va le voir. elle le voir, le com-prendre. Elle refuse son argent mais l’accueille lui. Sans un mot, elle lui signifie : je te vois, je te reconnais, mais je choisis de ne pas succomber : ni à la facilité de prendre ton argent, ni à celle d’avoir peur de toi. elle apprend l’intégrité, le courage et la bienveillance. pfffff, que je l’aime cette petite (devenue grande).
Vous savez quoi? on a tous des tas de fantômes autour de nous, assis à côté de nous dans le train (oui, de la vie). mais la plupart d’entre nous, consciemment ou inconsciemment, ne voulons pas les voir et tentons même de faire bonne figure, en avançant masqué. Angelo (merci pour tous vos partages sur les rs, que cette vidéo continue de tourner!!!) nous disait qu’il lui est arrivé lors d’un coaching d’artistes pour leur passage en festival (les franco-folies je crois), de debriefer ainsi : “tu me chantes ta chanson, mais tout ce que tu projettes, et donc tout ce que je reçois, c’est ton syndrome d’abandon.” ah boum. c’est exacerbé sur scène mais en vérité, c’est pareil pour tout le monde je crois.
je, tu, nous nous promenons avec tous nos fantômes autour de nous et, tenez vous bien, tout le monde les voit. bah vous voyez pas comme ils sont énormes?! quand nous entrons dans une pièce, tous les autres les voit. mais, tout le monde n’est pas Angelo, tout le monde n’est pas capable de le verbaliser, parce qu’il faut être soi-même en contact avec les siens, mais sachez que… ça se sent.
tout le monde les voit… y compris, les fantômes eux-mêmes, qui se voient entre eux, se reconnaissent, s’assemblent sans que vous n’en sachiez rien. ils vous entrainent dans des relations, des schémas, plus ou moins heureux, mais si puissants… mais ça c’est encore une autre histoire.
restons sur le rapport à soi : aussi terrifiant cela soit il, Chihiro m’apprend que je n’ai pas le choix : soit j’ignore mon Sans-Visage, vis dans la peur de le voir émerger et une forme d’inauthenticité à le cacher et dans ce cas, je ne suis même plus Chihiro (elle perd son prénom au début de son aventure) mais le Sans-Visage lui-même, ou bien je fais le choix de le re-connaitre, de l’accueillir, et le laisser s’assoir en paix auprès de moi.
l’apprivoisement de son dark side est définitivement l’une des choses les plus terrifiantes et les plus excitantes dans le fait de grandir.