Vous connaissez désormais la règle, retrouver une photo de soi, à 20ans et décrire les impressions éprouvées lors de cette rencontre avec ce “je”, alors qu’il était un autre. c’est donc à mon tour de m’y coller.
A vrai dire, l’idée de cette rubrique est partiellement née après la découverte de cette photo. Car quelques jours plus tard, Fred me dit “tu sais quoi je viens aussi de découvrir une photo de mes 20 ans. et j’ai chialé!” Vous connaissez la suite.
je pensais faire un unique post groupé avec Fred et puis j’ai repensé à l’itw “enfance” de Lise sur Tendances de Mode, et me suis lancée comme elle dans une recherche plus poussée. J’espère que ça va durer longtemps avec d’autres visages et témoignages encore.
Me concernant, j’étais en train de trier des papiers, assise par terre, derrière un buffet. j’avais dû le déplacer partiellement pour ouvrir un placard-archivage de la sous-pente. D’une certaine manière, j’étais déjà dans un espace me confinant dans une direction obscure et inconnue. Je cherchais évidemment tout autre chose quand j’ai vu cette enveloppe en Kraft. En l’ouvrant je découvre 4 photos imprimées dans un grand format A4 de papier cartonné. C’est grand pour une impression photo, pour autant, le jet d’encre est très approximatif (on voit d’ailleurs le tramage) et j’imagine mon oncle qui a l’époque prenait encore des photos, mettre tout son cœur à imprimer ces images malgré les faibles moyens techniques dont il dispose. et ça m’émeut. A vrai dire j’avais déjà vu ces photos, il y a 15 ans peut être, mais je m’en foutais. C’était pour lui, pour ma mère que je les avais faites.
Je porte, en plus de ma longue chevelure et du trait de khôl emprunté à ma mère, une robe de chez Dries Van Noten car j’avais fait un stage chez lui.
Un peu comme Fred, ce qui m’a sauté aux yeux, pardonnez moi cette phrase profondément choquante, ce qui m’a sauté aux yeux c’est ma beauté. Bordel de merde, ce que j’étais belle! Et en même temps je sais pas comment vous le dire mais ce sentiment de beaute s’est accompagné d’un profond chagrin.
Une sorte de “mais qu’est ce que j’ai fait de toutes ces années?!”
C’est vrai quoi, j’étais tellement, tellement heureuse. de bonnes etudes, un grand amour, j’étais promise à une belle carrière, j’étais oui profondément heureuse… Tout était impec’ sur le papier. je dirais que tout était “objectivement” impec. Et je crois d’ailleurs que la beauté de nos 20ans, c’est justement une beauté objectivable, y compris dans le sens primaire de l’objectif du photographe. On peut la prendre pour objet (d’étude, d’attention, d’amour même…).
Et contrairement à Fred, pour le coup, et là pardonnez-moi cette 2e phrase choquante, je me suis toujours trouvée belle. Depuis toute petite, les gens disaient que j’étais belle alors ça m’arrangeait bien de les croire. Je vivais, je m’en rends compte dans le regard des autres. ma nécessité interne comme dirait Chassol, était de plaire, d’être au diapason avec ce qu’on attendait de moi. j’y parvenais parfaitement donc tout roulait parfaitement ainsi.
Quelques semaines après pourtant, je quittais celui avec lequel je voulais me marier, je commençais un boulot plein d’avenir et le quittais quelques années plus tard. bref, tout ce bonheur “simple”, tracé, “sur le papier”, tout ce monde de certitudes s’est écroulé.
ça s’est écroulé tout simplement parce que ça n’était pas mon monde. De manière très inconsciente, être performante dans le regard des autres ne m’intéressait plus. non que je renie quoique ce soit ou que ce que je pouvais ressentir à l’époque ne soit pas véritable, mais le monde psychique dans lequel tout cela s’inscrivait était celui… de l’enfance. Eh oui : pourquoi vouloir performer “objectivement” si ce n’est pour être aimé “objectivement” de Papa, Maman? (NB1 : mon père est prof)(NB2 : mes parents sont viets). Le temps était donc venu de sortir de cet âge. Et c’est comme ça. Ce chagrin que j’ai ressenti c’était un peu celui du paradis perdu. non que je sois malheureuse aujourd’hui, au contraire, mais ce passage à l’âge adulte m’a menée sur un chemin tout autre, infiniment plus complexe, infiniment plus beau aussi (putain, quel cauchemar d’être aimé juste parce qu’on est performant!) sur lequel j’ai fait tellement d’erreur, sur lequel j’ai tellement erré justement, mais sur lequel je me suis trouvée. ça me noue de l’écrire.
je crois que ma plus belle réussite, en dehors de mes mômes, il s’entend, je n’ai jamais rien fait de mieux, c’est qu’aujourd’hui, me semble-t-il, pardonnez cette fois-ci mon émotion, c’est qu’aujourd’hui, je me trouve “subjectivement” belle. il m’aura fallu 20 ans, pour me sentir véritablement un sujet, non plus un simple objet, de ma propre vie.
mille baisers à tous